Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Révolution un jour, rebellion toujours ! Journal d'une expat'
25 août 2012

Retour sur: l'émission C dans l'air du mardi 21 août

Ce mardi 21 août, l’émission « C dans l’air » avait pour thème « Tunisie: la parole voilée des femmes  ».

Alors, quand je l’ai regardé, j’étais pleine d’espoir de voir enfin le sort de la Tunisie mise en avant, de façon adéquate, enfin autre chose que ce que l’on peut (bien trop) rapidement voir sur notre télévision française.

J’attendais qu’enfin on parle enfin de ces femmes qui se battent partout dans le pays pour que ne sois pas intégrée la notion de complémentarité de la femme par rapport à l’homme dans la nouvelle constitution, de l’importance du Code du Statut Personnel.

J’attendais qu’enfin on parle vraiment de la liberté d’expression toujours plus réduite, des (trop) nombreux spectacles empêchés, des artistes menacés, des milices qui semaient la pagaille pendant le ramadan, venaient fermer les restaurants, touristes ou pas, de l’augmentation des pratiques religieuses, et de leurs dérives, des milices qui viennent jouer à la « police des mœurs ».

J’attendais qu’on parle de la dégradation des finances alors que les gouvernants se remplissent les poches et s’offrent de fastueux dîners. J’attendais qu’on parle enfin des conditions socio-économiques catastrophiques des tunisiens, du manque d’eau, des ordures qui s’amoncèlent dans les rues, rendant les conditions de vie difficiles et propices aux maladies, et des soulèvements réguliers de la population.

 

Ces sujets ont en effet tous été traités, mais de façon bâclée. Tellement bâclée que la vision de la Tunisie dans la tête des français est probablement encore plus floue.
Après avoir discuté avec des personnes de mon entourage qui l’ont regardé, sans rien connaître de l’état du pays, il apparaît qu’ils se sentent encore plus perdus après la diffusion de cette émission qui était sensé les éclairer.

Pour avoir le nez H24 dans la politique tunisienne, j’ai été effarée de voir que le sujet a été traité par-dessus la jambe. D’autant qu’un des  invités, M. Mathieu Guidère, que l’on nous présente comme quelqu’un de confiance, politologue, grand islamologue, nous a offert un florilège de petites phrases destinées à vendre le parti Ennahdha aux occidentaux.

 

Il aura peut-être simplement voulu nous aider à comprendre la couleur politique du parti Ennahdha en le comparant à l’UMP ? Mais en assignant une "simple" étiquette FN aux salafistes d’une violence terrible qui sévissent dans le pays, en taisant qui plus est ces violences (merci à Mme Belhassen qui a pourtant tenté de les pointer du doigt), M. Guidère a fait une faute assez inquiétante.

Il nous dit : « La Tunisie est un Etat fragile. Il n’y a pas encore d’institutions stables, ni de gouvernement stable. […] C’est un Etat en construction ».

Concernant la question des femmes : « Je crois qu’il ne faut pas jouer avec la démocratie, c’est Ennahdha qui a fait élire la majorité des femmes, ce ne sont ni les démocrates ni les progressistes. 42 femmes  sur la liste Ennahdha, c’est la majorté. » Puis : « La vice-présidente de l’ANC [membre du parti Ennahdha] est un pur produit du système éducatif français, a obtenu son diplôme d’interprète/traducteur dans l’une des meilleures écoles de France, et est la représentante des tunisiens de France à l’Assemblée. [Elle représente] ces individus qui connaissent très bien la modernité, en sont les produits, mais qui en étant femmes, défendent des positions (…) qui interpellent. »

En suivant peu à peu le  fil de pensée de Mathieu Guidère, on peut constater qu’il tente par n’importe quel moyen de banaliser le parti majoritaire dans l’esprit des français. Il nous assène d’un côté que la Tunisie est un pays on ne peut plus démocratique mais tempère de l’autre: "démocratique mais pas trop". Démocratie quand il faut, mais faible quand il s’agit de ne pas leur reprocher leur  inaction ou leurs erreurs.

 

Comment alors comparer les partis politiques issus d’une démocratie laïque telle que la France, où les règles sont claires, et ceux d’une toute jeune démocratie (rappelons que les membres de l’Assemblée Nationale Constituante n’ont été élus que le 23 octobre 2011) dont la Constitution n’est pas encore rédigée et même toujours débattue, dont les règles sont encore balbutiantes ?

 

De plus, une pression religieuse est exercée de manière assez forte, avec une sensibilité exacerbée des extrémistes, et un débat autour d’une pénalisation de « l’atteinte au sacré ».

Pour autant, M.  Guidère souligne, dès la 4ème minute de l’émission : « La Tunisie n’est pas (…) et ne sera probablement jamais un Etat islamique, et on n’est pas dans une situation dans laquelle on a des religieux qui imposent aux Tunisiens, tous les jours, de faire ceci ou cela. »

Voyons voir. Je me permets de vous citer quelques exemples, juste comme ça. Par exemple, on a vu des miliciens violents, « police des mœurs » auto-proclamée (en vrac) : pendant le Ramadan faire des descentes pour faire fermer les restaurants, tant pis pour les touristes et les non-jeûneurs, des touristes stoppées à l’aéroport de Tunis-Carthage car elles ne portaient pas une tenue « décente », on a vu aussi un drapeau noir salafiste remplacer le drapeau tunisien à la faculté de la Manouba en avril dernier, on a vu ces milices, récemment, littéralement tabasser Jamel Gharbi, élu de la République française tands qu’il se baladait avec sa femme (une européenne) et sa fille, parce qu’elles ne portaient pas une tenue convenable, elles non plus. On a vu des dizaines d’actes de ce genre proliférer partout dans le pays. On voit  aujourd’hui une bannière au fronton d’une mosquée, s’interrogeant : « Quelle est la sanction pour celui qui ne  fait pas la prière ? », et  il semblerait que ce genre de menaces à peine voilées fleurissent un peu partout.

 

Alors peut-être qu’en effet les salafistes ne sont qu’une espèce de branche extrémiste de la ligne politique conservatrice. Néanmoins, on a peu vu le gouvernement s’inquiéter de ces agissements, et donc quelque part cautionner, ou à tout le moins négliger de se préoccuper de ces questions.

Entendre M. Guidère banaliser, s’évertuer à taxer ces évènements de marginaux, voir les passer carrément sous silence pour mieux placer Ennahdha sur un piédestal m’a mise hors de moi.

 

Lorsque l’on sait que l’évolution de la Tunisie,  après avoir fait les gros titres de la presse pendant la révolution, fait aujourd’hui l’objet d’une  indifférence terrible, je trouve  absolument scandaleux qu’une émission si creuse, floue et  inutile soit diffusée.

Si c’est pour se donner le sentiment de s’être préoccupé du sort de la Tunisie et aller se coucher tranquillement avec le sentiment du devoir accompli, sachez que nous n’avions pas besoin de ça. Et quand je dis « nous », c’est nous les français qui nous informons, « nous » les français qui ne pouvons pas nous pencher sur le sujet de façon convenable, mais  surtout « nous » les tunisiens et tunisiennes qui nous battons tous les jours pour bâtir une démocratie, qui nous battons pour notre pays, nos droits, notre avenir et celui de nos enfants, nous qui vivons au milieu d’une politique encore floue avec le  joug d’une religion politisée sur les épaules.

Publicité
Publicité
Commentaires
M
VIVE LES L'ISLAM ET LES MUSULMANS
L
Merci d'avoir pris le temps de lire et de laisser un commentaire Nesrine. Je suis ravie de voir qu'un peu partout il y ait des gens qui ont eu ce genre de réaction.<br /> <br /> Qu'importe ce que peut dire cet énèrgumène, ce qui est urgent c'est que chacun, de là où il est, essaye de faire bouger les choses.<br /> <br /> Merci encore :)
N
Vous avez très bien résumé toutes mes pensées! J'ai eu exactement la même réaction en écoutant Mr Guidère parler. Je me suis surprise à hurler toute seule dans mon salon en regardant la télé...il m'a vraiment mise hors de moi.<br /> <br /> Mais maintenant de toute manière, la révolution est en marche de nouveau. Le 23 octobre, ils dégageront. Ils laisseront le vide derrière eux mais on trouvera un moyen comme on en a trouvé un après le 14 janvier.
Révolution un jour, rebellion toujours ! Journal d'une expat'
  • Si l'actualité brûlante du printemps arabe vous a indifféré, je tenterais de rendre ces combats intéressants. Si vous êtes déjà mordus, ce blog est fait pour vous ! Une parisienne qui file à Tunis, mais pour quoi faire? Guess what? :)
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité